Suspensions...

Pour s’instruire sur le fonctionnement des suspensions, les cinématiques, les spécificités, courbes et chiffres qui les caractérisent, il existe déjà quelques articles intéressants

Le site Fullattack a notamment publié une série de papiers plutôt complets à ce sujet

Il existe également un logiciel assez simple d’accès qui permet de visualiser toutes ces courbes et ces chiffres : LINKAGE

Aussi je vais surtout partager ici mon expérience et avis sur la question et non pas réexpliquer tout ça.

Les chiffres et courbes c’est bien, mais....

Grace à toutes ces infos et à Linkage, il est facile de "bidouiller" des cinématiques, de vérifier si tel ou tel vélo a de "bons chiffres" ou si sa courbe de machin est pas terrible etc.

J’ai pu remarquer qu’il en découlait vite une sorte de recherche du Graal, de la recette ultime, celle qui aura tous les bons chiffres et toutes les bonnes courbes.
Mon cheminement ne m’a pas amené à participer à cette recherche et m’a rapidement mis sur un autre chemin.

Tout comme la géométrie, la suspension d’un vélo est un compromis. Chaque élément de caractère d’un système (ensemble cinématique/amortisseur/matériaux/géométrie....) va à un moment interagir avec un ou plusieurs des autres caractères. Il est donc fort à parier qu’une recette miracle avec les meilleurs courbes et chiffres dans tous ces caractères (antisquat, pedal kickback, antirise, ratio de compression, axle path, etc. etc.) vont finalement créer des effets de bord qui feront que le vélo créé n’est pas si bien. Ces effets de bord ne se voient pas sur le logiciel, ces effets de bord ne peuvent souvent se voir que sur le terrain.

J’ai deux exemples personnels dans mes tests récents :

- la roulette de renvoie de mon high pivot

Je l’ai d’abord déportée du point de pivot. Fixée sur le bras oscillant de façon à ce que la chaine passe par mon point de pivot mais avec le centre de la roulette déporté.

De cette façon je ne crée que peu de pedal kickback, mais je crée de l’antisquat. L’idée étant de faire en sorte que le high pivot gagne en rendement. Sur le papier, enfin dans le logiciel c’est une super bonne idée, et quasi la moitié des constructeurs de high pivot font ainsi.

Sur le terrain, il y a un effet de bord : fixée sur le bras oscillant la roulette se déplace sous l’action de la suspension. A chaque trou ou élément rencontré sur un sentier, la suspension se comprime au moins légèrement et la roulette monte. Le brin de chaine situé entre la roulette et la couronne tente donc à s’allonger, la roulette crée une force verticale dans la chaine, alors qu’au pédalage on fournit une force inverse. Moralité on doit fournir un effort supplémentaire dans les pédales pour compenser cette force.

Si la roulette est centrée, l’antisquat est "moins bon" (enfin la courbe, les chiffres...) mais le vélo pédale mieux. (en fait si on veut créer de l’antisquat sur un high pivot en décalant la roulette il faut alors la fixer sur un élément fixe du triangle avant - ça ne sera pas forcément un miracle non plus, ça va créer des courbes, ce ne sera peut être pas excellent à tous les instants et à tous les niveaux du débattement, mais ça aura certainement un effet intéressant sur le rendement)

- la première version de mon mono pivot

Dans le sens inverse : mon premier tout suspendu, je l’ai fait au hasard en terme de cinématique (enfin placement d’amortisseur plus exactement), et ensuite seulement j’ai commencé à m’intéresser à toutes ces informations, chiffres, courbes.

Il s’est avéré que tout était mauvais sur ce vélo : ratio de compression régressif, antisquat très (trop ?) élevé, fort pedal kickback etc.

Mais alors pourquoi sur le terrain le vélo fonctionne bien, voir même mieux que bien et que tous les retours (pas que les miens) sont positifs ?

Le vélo est régressif, mais les forces appliquées à l’amortisseur sont également régressives. C’est un effet qui est souvent négligé, mais la façon dont un choc se répercute entre le moment où il exerce une force sur la roue arrière et que cette force est retransmise (d’une façon qui n’a rien à voir avec la force originale) à l’amortisseur a énormément d’influence sur le comportement de la suspension. Si on suppose que la progressivité (ou régressivité) d’une suspension ne se résume que par le ratio de compression, alors on passe à côté d’une grosse partie de l’équation.

En bref, interaction entre les différents éléments : Ratio régressif, forces régressives, antisquat élevé etc. la recette finale fonctionne le vélo est très bon pour manger du single "naturel" et surtout plus c’est défoncé et plus le vélo fonctionne.
Cependant pour une utilisation bikepark avec gros appuis et surtout réception de gros sauts, il faut optimiser un peu le bottom out au niveau de l’amortisseur, ce qui est très souvent déjà le cas d’origine (gros bumper sur les amortisseurs à ressort ou progressivité naturelle de l’air...)

Les tests terrains

Je suis donc convaincu que c’est le résultat de la recette qui compte et non l’optimisation des chiffres du logiciel. Un ensemble de tests terrain complet est ce qu’il y a de plus important.

Dans la vidéo de Commençal "this is us", on comprend bien qu’il est impossible de développer un vélo qui fonctionne sans tests terrains. On voit également à quel point ça leur a été difficile de faire mieux que leur précédent cadre malgré le fait d’avoir un paquet de top pilotes pour les aiguiller.

https://youtu.be/hJvfB6ieztg?t=2520

La progressivité à tout prix ?

C’est un des éléments les plus utilisés en matière de communication par les marques. La progressivité est depuis des années ce qu’une majorité a appris à chercher à tout prix.

L’idée c’est que plus on avance dans le débattement et moins la suspension est sensible. De cette façon il sera de plus en plus dur de comprimer la suspension au fur et à mesure qu’on progresse dans le débattement. C’est vrai que ça a l’air d’être idéal, sur petit et moyen choc on ne rentre pas dans le débattement donc
on travaille dans sa partie sensible et quand de gros chocs surviennent on va venir jusqu’à solliciter la zone moins sensible qui évitera d’aller jusqu’au talonnage.

A force de chercher de la progressivité, tout le monde a fini par en trouver : les constructeurs de cadres mais aussi les constructeurs d’amortisseurs. Si on cumule cinématiques et amortisseurs progressifs, le résultat est mathématiquement très (trop ?) progressif.

Le problème dans ces conditions se trouve sur terrain accidenté : Quand on prend un paquet de chocs répétés, la suspension finit à un moment par travailler seulement dans la zone moins sensible, elle devient donc raide et tape dans les pieds. Bien souvent ce qu’on met sur le dos du "pedal kickback" vient d’un ensemble trop progressif.

On se dira alors "facile !", on met un ressort plus souple ou on baisse en pression. C’est une mauvaise idée : de cette façon on va créer plus de SAG et on ira encore plus facilement travailler dans la partie moins sensible du débattement. Il faudrait même plutôt augmenter la dureté de l’amortisseur pour rester plus longtemps dans la zone encore sensible du débattement mais du coups il sera alors d’une part plus difficile d’exploiter tout le débattement et il y aura perte de confort sur les petits chocs.

Dans le défoncé il y a beaucoup de vélos qui "broutent", tapent dans les pieds, la majorité du temps ça vient d’un excès de progressivité.

Un point sur lequel je suis à présent convaincu : il est facile de gérer de la progressivité via l’amortisseur sur un cadre qui apporte un fonctionnement globalement linéaire.
En allant plus loin je dirai qu’il est souvent beaucoup plus simple de trouver les bons réglages à son utilisation sur un cadre linéaire aux courbes d’amortissement simples que sur un cadre avec beaucoup de progressivité et des courbes complexes et/ou prononcées.

Pedal Kickback

C’est sûrement l’élément que les constructeurs essaient de supprimer au maximum.

Pour commencer je préfère parler d’effet de chaine. La tension de la chaine a dans la plupart des cas des effets sur la suspension. Effets positifs et effets négatifs. Le Pedal Kickback est un de ces effets mais l’antisquat également. Pedal Kickback effet négatif sur le confort et les sensations en descente, antisquat effet positif sur le rendement etc.

En réalité le pedal kickback, même s’il est important n’est pas toujours facile à ressentir. Une bonne partie de celui ci est absorbé par la roue libre. Deux clics de roue libre peuvent représenter plus d’1cm de chaine et donc compenser très largement le pedal kickback entre deux chocs.

Mais si on a un vélo progressif, avec un amortisseur progressif, avec une roue libre qui comporte un très grand nombre d’engagements, on va certainement bien sentir le kickback, encore plus si on roule sur un petit pignon et avec une petite couronne ou si le cadre est fait dans des matériaux très rigides (j’y reviendrai peut être dans un autre papier)

A l’inverse, il arrive que dans certaines configurations : suspension sensible jusqu’à la fin du débattement, roue libre avec un nombre d’engagements classiques, pignon/couronne pas trop petits, on arrive à rouler avec un pedal kickback élevé sans que ce soit gênant, au contraire ça peut même donner des effets de vélo qui accélère dans les compressions et les chocs (l’appuis ferme sur les pédales donne des "coups de roue libre" au fur et à mesure des chocs et compressions).

AntiRise

L’antirise est un effet qui dépend du centre de gravité de l’ensemble en mouvement : donc le vélo et son pilote. La courbe d’antirise calculée par les logiciels va donc changer si on place le pilote à l’avant du vélo, centré ou sur l’arrière. De même deux pilotes de 80kg et d’une morphologie différente feront évoluer la courbe d’antirise.

Ce sont donc des informations intéressantes mais dont la finalité n’est que difficilement intégrable.

De mon expérience je dirai que ces infos sont quasi négligeables à partir du moment où la géométrie est adaptée à la taille du pilote, c’est à dire de façon à ce que le vélo soit suffisamment grand pour que le rider puisse facilement se "centrer" dessus. Comme je l’explique dans mon papier sur les géométries : si le vélo est assez long (Reach) pour donner de la mobilité au rider sur celui ci, il aura la possibilité de se placer de façon à compenser tout comportement négatif de la suspension au freinage ou dans la pente. (et donc compenser un "mauvais" antirise)

AntiSquat

Certains diront que pas d’antisquat c’est nul, ou trop d’antisquat c’est nul.

Dans le premier cas, ça veut dire que tous les high pivot sont médiocres. Ce sont clairement jamais ou quasi jamais de bons pédaleurs. Mais on peut facilement compenser ce manque d’antisquat par un effort sur la géométrie. Un Reach assez long, un tube de selle bien relevé (79° sur un enduro par exemple), ça aide. Un bon système de bridage de l’amortisseur type propedal, climb switch etc. peut aussi faire des merveilles. Un High Pivot peut donner énormément d’adhérence en grimpette raide et peut donc facilement être utilisé avec ces bridages activés là où sur d’autres vélos on aura réouvert la suspension pour reprendre une dose d’adhérence.

Dans le second cas, tout dépend du reste de l’équation. Un de mes vélos persos en est l’exemple, l’antisquat élevé cumulé à une suspension de plus en plus sensible font bon ménage.

Pour conclure

Ce n’est clairement pas la qualité du rapport "Linkage" qui dira si un vélo va être bon et adapté. L’interaction que peuvent avoir certaines caractéristiques peuvent créer des effets de bord qui ne pourront être décelés que durant les tests terrains.

Une cinématique aussi bonne soit elle, ne sera pas exploitable avec un amortisseur qui n’a pas les bons settings. Si cette cinématique possède une courbe de compression et de forces trop complexe il sera difficile de trouver ces bons settings.

A l’inverse une cinématique qui donne un fonctionnement linéaire avec des courbes simples pourrait fonctionner convenablement avec des amortisseurs simples et il sera plus facile de trouver des réglages efficients sur des amortisseurs haut de gamme.

Plus j’avance dans mon expérience dans ce domaine et plus je suis convaincu que le mono-pivot est toujours complètement adapté voir idéal. Non seulement sa simplicité permet de facilement réaliser des cadres fiables sans tomber dans des poids démesurés, mais en plus il est simple de jouer avec les différents caractères d’une suspension sans créer des courbes complexes qui rendront le vélo difficile à régler.

J’ai commencé par faire des mono-pivots car à l’échelle de mon atelier c’est à peu près tout ce que je peux faire, mais au final même s’il y a maintenant un tas de super systèmes sur le marché il n’y en a aucun qui me convainc plus que le mono-pivot.

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